Fans d’Apple, encore un peu de patience ! Bientôt, vous saurez. Ce soir, sur le coup de 19 heures, les yeux de la planète high-tech seront braqués sur le Steve Jobs Theater, à Cupertino. Lors de cette conférence, dédiée aux développeurs du monde entier, Tim Cook, le patron de la célèbre firme à la pomme pourrait lever le voile sur son casque de réalité mixte, une innovation attendue depuis des années. Ces binocles connectées, qui pourraient rappeler par leur look de banales lunettes de skieur, promettent de nous faire pénétrer de nouveaux mondes et de nous offrir d’autres contenus numériques, en offrant une sensation d’immersion et une expérience radicalement différentes de ce qu’on a l’habitude d’expérimenter devant un smartphone ou une télé.
Mais d’abord, la réalité mixte, qu’est-ce que c’est au juste ? La technologie combine deux dispositifs de visualisation. Le premier vise à plonger l’utilisateur dans des univers imaginaires, par exemple un jeu vidéo – c’est ce que l’on appelle la réalité virtuelle. Le second consiste à juxtaposer des contenus numériques, textes ou images, à un environnement tout ce qu’il y a de plus réel. C’est la réalité augmentée. « A la différence de la réalité virtuelle, qui immerge complètement l’utilisateur, la réalité augmentée ne le coupe pas du monde qui l’entoure », résume David Letourneau, directeur commercial de la start-up Atomic Digital Design. Le concept est déjà exploité depuis plusieurs années sur les smartphones, notamment au travers de certaines applications de décoration de la maison. Via son appli Ikea Place, par exemple, le fabricant de meubles suédois propose ainsi de visualiser l’aspect d’un nouveau canapé dans son salon. L’internaute peut ainsi tester différentes tailles, couleurs ou dispositions dans la pièce, avant de valider son achat.
L’intérêt d’un casque c’est d’abord d’immerger l’utilisateur dans une scène, pour lui offrir une meilleure expérience visuelle. Tim Cook n’est certes pas le premier à y avoir pensé. Dès 2016, le Taïwanais HTC, le Japonais Sony et le géant californien Facebook, rebaptisé depuis Meta, s’étaient déjà engouffré sur ce marché. Jeudi dernier, Mark Zuckerberg a même tenté de lui couper l’herbe sous le pied en annonçant une nouvelle version de son casque, le Meta Quest 3. Disponible aux Etats-Unis, au prix de 500 dollars, le nouvel appareil dispose d’une bibliothèque de 500 applications, allant des jeux vidéo, au dessin 3D ou à l’activité physique. Une version professionnelle, le Meta Quest Pro, avait été lancée en octobre au prix de 1799 euros, un tarif raboté à 1 199 euros depuis mars.
Entre Apple et Meta, la guerre de la réalité virtuelle est lancée
Mais face à Apple, dégainer plus vite que son ombre n’a jamais été une garantie de succès. « Souvenez-vous de l’iPod. Ce baladeur musical lancé en 2001, bien après le baladeur Nomad de Creative, ou le Lyra de Thomson, a pulvérisé la concurrence », rappelle Damien Douani, expert en innovations numériques et en nouveaux usages. Ne parlons pas de l’iPhone. Lorsqu’il s’est invité dans la téléphonie en 2007, le smartphone a chamboulé toute l’industrie.
Aujourd’hui, tout reste encore à inventer dans ce secteur très balbutiant. L’an dernier, les ventes de casques de réalité virtuelle et augmentée ne représentaient que 8,8 millions d’unités, d’après le cabinet IDC. C’est-à-dire pas grand-chose, comparé aux quelque 1,2 milliard de smartphones écoulés l’an dernier. Toute la question est donc de savoir comment Apple va bien pouvoir s’y prendre pour faire décoller ce marché.
Ce ne sera pas en cassant les prix. Conformément à sa réputation de marque high-tech la plus chère du monde, le tarif du casque pourrait atteindre plusieurs milliers d’euros. « Apple ne cherche pas à proposer le produit le moins cher possible, mais à apporter un nouveau souffle », justifie Philippe Nieuwbourg, consultant et spécialiste des univers virtuels. Le fabricant ne se limitera pas à copier Meta, qui se contente encore de nous immerger dans des mondes de Bisounours. J’attends en tout cas de Tim Cook qu’il exploite le vrai potentiel de la réalité virtuelle, sans se cantonner aux jeux video ou au divertissement, comme le fait Zuckerberg ».
Pour cet expert, la première étape de cette conquête devrait passer par des applications professionnelles, notamment dans la santé. « Cette technologie a déjà fait ses preuves dans le secteur, en particulier en chirurgie, pour réaliser des simulations », dit-il. Grâce à la réalité virtuelle, le praticien peut répéter l’acte chirurgical sur un jumeau numérique, fac-similé informatique de l’organe à opérer, avant d’intervenir sur son patient de chair et d’os.
Vendue au départ pour nous proposer de nouvelles expériences de divertissement, la réalité virtuelle a effectivement réalisé une percée inattendue dans le médical. Au CHU de Strasbourg, par exemple, des médecins ont ainsi eu recours aux contenus développés par la start-up HypnoVR pour relaxer des patients avant une opération, afin de limiter les doses d’anesthésiant, ou après l’intervention, pour apaiser les douleurs. La technologie s’est aussi invitée dans les cabinets de psychologues, pour traiter phobies ou addictions, en complément des thérapies classiques.
Les casques high-tech ont aussi fait leur apparition dans les usines. Celles d’Airbus, par exemple, ont ainsi recours à la réalité augmentée pour contrôler certaines opérations d’assemblage. Tel un calque numérique, un plan virtuel vient directement se superposer sur le travail effectué. L’opérateur n’a plus qu’à vérifier que les pièces ont été correctement montées à l’intérieur du cockpit.
Tirer profit du fameux écosystème Apple
Mais pour vraiment décoller, la réalité virtuelle devra aussi séduire les consommateurs. «Et si quelqu’un peut rendre cool cette réalité augmentée et virtuelle, développer un écosystème de casques grand public et favoriser l’adoption, c’est bien Apple », estime Ben Laidler, Global Market Strategist chez la plateforme d’investissements eToro.
Pas vraiment fan du métavers, cet ensemble de mondes virtuels popularisés par Mark Zuckerberg, Tim Cook devrait toutefois proposer des univers de synthèse, nourris par l’intelligence artificielle générative. Fin mai, Apple a lancé une campagne de recrutement, qui vise à pourvoir des postes d’ingénieurs, experts dans cette discipline. « Le Learning Technology Group d’Apple est à la recherche d’ingénieurs en apprentissage automatique ayant une expérience et/ou un intérêt pour l’IA conversationnelle et générative ! Vous utiliserez des modèles innovants pour créer des applications sur les technologies les plus avancées d’Apple, tout en développant votre expertise en réalité augmentée et virtuelle (AR/VR) », promet l’annonce publiée sur son site.
En matière de contenus, le fabricant ne partirait pas d’une page blanche. « Une fois de plus, Apple va tirer profit de la quintessence de son fameux écosystème, qui permet à la fois de porter ses grandes applications sur plusieurs de ses terminaux et de faire interagir ses appareils les uns avec les autres », estime Damien Douani. Plusieurs applications pourraient ainsi être rapidement adaptées à son casque, comme son service de streaming de jeu vidéo Apple Arcade, déjà accessible sur iPad, iPhone Mac ou Apple TV. Ou encore son outil de visioconférence Facetime, pour donner la sensation de proximité aux membres d’une réunion. Apple pourrait aussi tirer profit de son catalogue de vidéo à la demande, pour proposer de nouvelles façons de visionner un film, voire d’assister à des rencontres sportives, par exemple celles de la Major League Soccer, le championnat de football des Etats-Unis, dont elle détient les droits jusqu’en 2032. « Je pense aussi qu’Apple va exploiter la thématique du fitness », pronostique Damien Douani. Lancé en France en septembre 2021, son service Fitness + propose déjà de suivre des cours de sports personnalisés devant son iPhone ou son Apple TV. Pour peu qu’en plus, l’utilisateur soit équipé d’une Apple Watch, le coach virtuel adapte l’intensité à votre rythme cardiaque, mesuré par la montre. « Avec ce casque, l’utilisateur aurait vraiment l’impression d’avoir un coach de sport dans son salon », dit-il.
Bardé de détecteurs de mouvements et de caméras pour analyser son environnement, le casque d’Apple pourrait aussi assister les malvoyants à domicile. « Sur l’iPhone, vous avez déjà un synthétiseur de voix, on peut tout à fait imaginer que le casque nous avertisse dès qu’on s’approche d’un obstacle, qui serait reconnu et décrit grâce à l’intelligence artificielle », estime l’expert.
Pour Tim Cook, tout l’enjeu de la conférence de ce soir est de convaincre les développeurs de créer des applications suffisamment utiles ou attrayantes, pour justifier le positionnement très haut de gamme de son innovation. « Les partenariats qui seront annoncés seront peut-être même plus importants que le casque lui-même, qui sera sûrement appelé à évoluer », estime Philippe Nieuwbourg.
Douze ans après avoir succédé à Steve Jobs, Tim Cook n’a pas à rougir du chemin accompli. Depuis qu’il est aux manettes, la capitalisation boursière d’Apple a été multipliée par 8, à plus de 2800 milliards de dollars. Cette année encore, le cours a flambé de 38%, soit près de 4 fois la progression de l’indice boursier américain S&P 500. Outre qu’il a conforté l’image très haut de gamme du groupe, en faisant un peu plus grimper les prix de son catalogue, le big boss a amorcé avec succès un virage dans les services, notamment via son offre de streaming video Apple TV+ ou sa carte de crédit sans frais Apple Pay. Mais s’il a aussi réussi les lancements de la montre connectée Apple Watch et des écouteurs sans fil Airpod, aucun de ses appareils n’ont eu l’impact de l’iPod, ni a fortiori de l’iPhone, imaginés par son prédécesseur. A 62 ans, le temps est peut-être venu pour Tim Cook d’imprimer son propre style, en annonçant le produit révolutionnaire qui le ferait, lui aussi, passer à la postérité.
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