De plus en plus nombreuses, intraçables, faciles à fabriquer et peu chères, les armes imprimées en 3D inquiètent les autorités. Après l’interpellation d’un potentiel réseau, un expert en ballistique de la gendarmerie revient sur le phénomène dans le podcast « Affaire suivante » de BFMTV.
Elles sont faites de plastique, mais elles n’ont rien d’un jouet. Depuis quelques années, les armes imprimées en 3D ont fait leur apparition dans l’Hexagone et sont devenues une source d’inquiétude pour les autorités. Un vaste réseau de vente et de fabrication a même été démantelé, fin janvier, sur le territoire national.
Une opération a permis l’interpellation de 14 personnes en France et en Belgique. Douze d’entre elles, soupçonnées d’appartenir à un réseau de fabrication et de vente d’armes de gros calibre imprimées en 3D, ont été présentées à la justice.
De l’aveu même du procureur de la République de Marseille, c’est « une première en France » qui « ne manque pas d’inquiéter » les autorités, a déclaré Nicolas Bessone lors d’une conférence de presse sur le démantèlement du réseau, lundi 5 février.
« Aujourd’hui, n’importe qui peut fabriquer des armes »
« C’est un phénomène qu’on signale depuis deux ans », explique Antoine Museau, adjudant-chef, expert en balistique à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), dans le podcast Affaire suivante de BFMTV. Aux États-Unis, la fabrication et la vente d’armes imprimées en 3D existent déjà depuis une dizaine d’années.
« On craignait une explosion avec la possibilité de s’acheter des imprimantes 3D de moins en moins chères et de plus en plus performantes », regrette cet expert en armes et munitions inscrit près la cour d’appel de Versailles. « Malheureusement, on commence à rentrer dans le vif du sujet avec des trafics. »
Certes, la fabrication artisanale d’armes a toujours existé, rappelle Antoine Museau. « Ça se faisait avec des machines détournées de leur utilisation initiale, qui n’était pas vouées à l’armurerie. » Mais « cela demandait des connaissances suffisamment poussées en mécanique, ce n’était pas à la disposition de tout le monde ».
Désormais, il suffit d’un tutoriel et d’une imprimante 3D – qui peut s’acheter pour quelques centaines d’euros.
« Ça se simplifie, ça se démocratise », déplore l’adjudant-chef. « Aujourd’hui, n’importe qui peut être en mesure de fabriquer des armes ou des éléments d’armes. »
Trois catégories
Il n’y a pas une, mais trois catégories différentes d’armes imprimées en 3D, classées en fonction de leur efficacité, de leur facilité à produire et de leur coût de production.
À commencer par les armes totalement fabriquées en 3D, les « Fully 3D Printed Weapon ». « Ce sont des armes très faciles à fabriquer, ça nécessite seulement une imprimante, mais elles ne peuvent tirer qu’un ou deux coups », décrit l’expert en balistique. « Ce sont les plus faciles à faire mais les moins fiables. »
La deuxième catégorie, ce sont les armes hybrides, faites avec des pièces imprimées en 3D et des pièces métalliques, qui ne sont pas des pièces d’armes. « Ce sont des pièces accessibles à tout le monde, que vous pouvez trouver en quincaillerie », poursuit Antoine Museau.
Elles sont surnommées « FCG9 » pour « Fuck Gun Control 9mm ». « Elles sont apparues aux États-Unis en 2020 pour contourner la législation sur le contrôle des armes », ajoute-t-il. « Ce sont des armes plus efficaces, qui fonctionnent mieux, mais elles ont une durée de vie limitée, entre une dizaine et une centaine de coups, et certains coups ne partent pas », détaille l’expert de l’IRCGN.
Mais celles qui inquiètent probablement le plus les autorités, ce sont les armes « PKC » pour « Parts Kits Completion ». Il s’agit d’armes fabriquées en partie avec une imprimante 3D et avec des éléments d’armes traditionnelles – « généralement le canon, en vente libre dans certains pays », ajoute le spécialiste.
« Ce sont des armes très efficaces. Elles sont fiables, fonctionnelles et durables », explique Antoine Museau.
Intraçables et faciles d’accès
Ce qui complique le travail des enquêteurs, c’est que ces armes fabriquées en 3D, de manière illégale, n’ont pas de numéro de série. En d’autres termes, elles sont intraçables.
Mais pour Antoine Museau, ce n’est pas tant cet aspect qui doit alerter, mais plutôt la facilité de fabrication et donc la « prolifération »: les armes se revendent sur le dark web beaucoup moins cher – entre 1.000 et 1.500 euros – que les armes traditionnelles.
« Elles sont surtout très faciles d’accès et elles ne sont pas chères. On risque de mettre dans les mains de personnes très jeunes des armes qui sont en mesure de tirer des munitions réelles et donc tuer », met-il en garde.
Lors de leur enquête, les cybergendarmes ont d’ailleurs découvert qu’une partie des livraisons d’armes fabriquées en 3D se faisaient par colis, en pièces détachées, parfois même sur Vinted et avec des paiements en cryptomonnaie. Des méthodes que le procureur de la République de Marseille a qualifiées d' »ubérisation du trafic d’armes ».