Le président américain Joe Biden a ordonné à MineOne, une société chinoise de cryptomonnaie installée aux États-Unis, de quitter le sol américain. Situé juste à côté d’une base militaire essentielle pour le programme nucléaire américain, elle était accusée d’être une “menace pour la sécurité nationale”.
MineOne est non grata sur le sol américain depuis mardi 14 mai. Sur ordre du président américain Joe Biden, cette entreprise chinoise de minage de bitcoins située dans le Wyoming doit plier bagage en moins de 120 jours.
Ce site représenterait une « menace pour la sécurité nationale américaine », précise le communiqué de la Maison Blanche. Sa faute ? S’être installé près de la ville de Cheyenne, à quelques pas d’un site militaire américain très sensible et d’un centre de données de Microsoft dont le Pentagone est un important client.
Microsoft en lanceur d’alerte
Alors que les projecteurs médiatiques sont braqués sur la décision américaine d’imposer d’importants droits de douanes aux importations de voitures électriques chinoises aux États-Unis, cette autre sanction, passée bien plus inaperçue, est pourtant « symptomatique à bien des niveaux de la détériorations des relations sino-américaines », assure Marc Lanteigne, sinologue à l’Université arctique de Norvège.
D’abord, selon cet expert, parce que MineOne incarne parfaitement ce que les « faucons de la politique chinoise à Washington » dénoncent : le manque de transparence d’une entreprise qui utilise « du matériel à finalité double [civile ou militaire, NDLR] », résume Marc Lanteigne.
MineOne, qui appartient à une nébuleuse de sociétés basées dans divers paradis fiscaux, a acquis le terrain pour son usine à minage de bitcoins en 2022 sans en informer le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis, l’organe censé se prononcer sur les risques que ce genre d’acquisition peut faire courir à la sécurité nationale.
Il a fallu que le puissant voisin de cette société, Microsoft, tire la sonnette d’alarme et prévienne l’administration américaine en août 2022 que MineOne venait d’emménager et pouvait, potentiellement, « mener des opérations complètes de collecte de renseignements », note le New York Times.
Dès lors, les autorités ont commencé à regarder de plus près les activités de cette entreprise. Les usines de minage de bitcoins ne font rien de suspect en soi : ce sont généralement d’immenses hangars remplis d’ordinateurs dont la puissance combinée sert à résoudre des équations très complexes afin de « créer » les bitcoins (les bitcoins représentent la « récompense » pour avoir trouvé la solution aux problèmes mathématiques).
À côté des missiles nucléaires stratégiques américains
Quel rapport avec l’espionnage ? Le matériel utilisé – ordinateurs, serveurs – pourrait être utilisé pour du cyberespionnage. Bitmain, la société chinoise qui fournit l’équipement électronique, a déjà été accusée en 2019 d’avoir laissé des « vulnérabilités » sur leur matériel permettant de prendre le contrôle à distance de machines dans le monde entier.
Mais c’est surtout le lieu retenu par MineOne pour son implantation qui a particulièrement inquiété l’administration Biden. L’usine est située à proximité immédiate de la base aérienne militaire Francis E. Warren dont la particularité est d’être l’une des trois bases américaines où se trouvent des missiles balistiques nucléaires. C’est donc une composante importante de la force de dissuasion nucléaire américaine. Dans le contexte de tensions avec Pékin, cette proximité entre du personnel chinois et du matériel informatique puissant, et une base aussi stratégique, est perçue d’un mauvais œil par Washington.
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« C’est aussi un bon coup politique pour Joe Biden en cette année électorale : l’opposition à la Chine demeure l’un des rares points d’entente entre démocrates et républicains », souligne Marc Lanteigne.
C’est un autre aspect très révélateur de cette affaire : il y a quelques années, les centres chinois de minage de bitcoins étaient bien mieux accueillis aux États-Unis. « En 2021, Pékin a décidé, pour des raisons environnementales et politiques, d’interdire le minage de cryptomonnaie sur son territoire. C’était pourtant l’endroit au monde où il y en avait le plus. Les États-Unis sont alors devenus l’une des principales destinations pour ces usines qui cherchaient des horizons plus accueillants », explique Marc Lanteigne.
« Comment les États-Unis profitent de la nouvelle politique chinoise à l’égard du bitcoin« , expliquait ainsi, en 2022, NPR, la radio publique américaine. Les considérations sur les retombées économiques et en terme d’emploi de ces investissements chinois – souvent dans des zones rurales – l’emportaient alors sur les risques pour la sécurité nationale.
Mais en deux ans, le tableau a bien changé. « Tout le monde s’inquiète de TikTok, mais personne ne parle de toutes ces usines chinoises qui, pour miner des bitcoins aux États-Unis, se sont branchées sur notre réseau électrique », s’inquiétait fin 2023 Bryan King, un élu républicain de l’Arkansas.
Peur sur le réseau électrique américain
Le New York Times a pu identifier des usines de minages de cryptomonnaies appartenant à des Chinois dans douze États. Ensemble, « ils peuvent consommer en électricité l’équivalent de 1,5 million de foyers », souligne le quotidien américain.
C’est l’autre « risque pour la sécurité nationale » souvent soulevé aux États-Unis. « Ces installations de minages de bitcoins aux États-Unis représentent un cheval de Troie chinois« , a ainsi écrit Cointelegraph, une site spécialisé dans les cryptomonnaies. « La crainte est que tous ces sites se mettent à pousser simultanément la puissance de leurs ordinateurs au maximum pour faire monter la consommation d’énergie afin de tenter de déstabiliser le réseau électrique nord américain », explique Marc Lanteigne.
Il n’y a, certes, « aucun élément tangible » suggérant que ce scénario catastrophe puisse un jour devenir réalité, note le sinologue. Mais le spectre agité de cette catastrophe énergétique en dit long sur l’ambiance qui règne aux États-Unis.
Avant les installations comme MineOne, des élus américains s’étaient déjà inquiétés de l’achat par des groupes chinois de terrains agricoles aux États-Unis. Ainsi l’acquisition en 2021 de plusieurs hectares à côté de la base aérienne de Grand Forks avaient entraîné des accusations d’espionnage contre la Chine. Une proposition de loi a même été déposée en 2023 afin de mieux contrôler ces achats chinois.
Pour Marc Lanteigne, Joe Biden se retrouve dans une situation inconfortable. D’un côté, il ne peut pas ignorer l’importance des relations économiques sino-américaines, mais de l’autre, « il subit la pression des industriels qui craignent la concurrence de produits chinois subventionnés comme avec les voitures électriques, et des faucons politiques estimant qu’il faut réduire au maximum la présence chinoise sur le sol américain ».