Certains oligarques cherchent à contourner les sanctions et la chute du rouble en transférant d’importantes sommes en cryptoactifs à Dubaï, où ils investissent dans l’immobilier.
Même pour Dubaï et sa population de multimilliardaires, l’appel était hors du commun. Et ce responsable d’une société de revente de cryptomonnaies, qui témoigne auprès de l’agence Reuters, s’en souvient très bien. « Il y a un type – je ne connais pas son identité, il est passé par un intermédiaire – qui appelle et nous dit, “je voudrais vendre 125 000 Bitcoins”. Je lui ai dit que ça faisait 6 milliards de dollars. Il m’a dit “oui, oui, on va les faire transférer par une entreprise en Australie”. »
Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, et l’effondrement du cours du rouble consécutif aux sanctions internationales, des milliardaires russes pensent avoir trouvé une solution pour protéger leur fortune et, pour certains, tenter d’échapper aux sanctions. A Dubaï et dans le reste des Emirats arabes unis, l’un des rares pays où les riches Russes sont encore bienvenus, ils investissent massivement dans l’immobilier, après avoir utilisé des cryptomonnaies pour transférer leurs fonds.
Les montants en jeu sont parfois gigantesques. Une entreprise spécialisée de Dubaï a expliqué à Reuters avoir reçu ces dix derniers jours plusieurs demandes étonnantes d’intermédiaires suisses, qui cherchaient à liquider des portefeuilles de cryptomonnaies de plus de 2 milliards d’euros. Certains de ces clients expliquent qu’ils craignent que leurs avoirs soient saisis en Suisse. « Nous avons eu cinq ou six appels de ce type ces deux dernières semaines. Aucun n’a abouti – les ventes ont capoté à la dernière minute, ce qui n’est pas rare –, mais nous n’avions jamais vu un tel intérêt », explique l’entreprise.
Des transferts qui restent traçables
La société Elliptic, spécialisée dans le suivi des transferts de cryptomonnaies pour le compte d’entreprises et de services de police, a annoncé ce 14 mars avoir identifié « plusieurs centaines de milliers » d’adresses de portefeuilles de cryptomonnaies utilisées par des citoyens russes sous le coup de sanctions ou associés aux autorités russes.
« Les cryptoactifs peuvent être utilisés pour tenter d’échapper aux sanctions », a détaillé Tom Robinson, cofondateur d’Elliptic. « La question est surtout de savoir à quelle échelle. Il n’est pas réaliste d’imaginer que des oligarques parviennent à échapper totalement aux sanctions en faisant transiter toute leur fortune par des cryptomonnaies. Les cryptomonnaies sont traçables, ce n’est pas un outil magique. »
Pourtant, le gouvernement américain a réaffirmé le 11 mars que les sanctions s’appliquaient à tous les avoirs des citoyens russes identifiés, y compris en cryptoactifs. Et le ministère du Trésor a publié de nouvelles directives confirmant que les entreprises et citoyens américains travaillant dans le domaine des cryptoactifs devaient appliquer l’ensemble des sanctions internationales, y compris pour de « simples » transactions en cryptomonnaies. L’administration Biden considère que même si les cryptoactifs ne pourront pas être utilisés à grande échelle pour échapper aux sanctions, les entreprises américaines du secteur devaient observer la plus grande vigilance à ce sujet.
Appartements de luxe payés en bitcoins
Les grandes plates-formes d’échange américaines et internationales, qui permettent d’acheter ou revendre des cryptoactifs, ont affirmé qu’elles appliqueraient les sanctions internationales, même si elles ont toutes refusé de bloquer unilatéralement l’accès à leurs services aux utilisateurs russes, comme le demandait le gouvernement ukrainien. La semaine dernière, Coinbase, l’une des principales plates-formes mondiales, a ainsi annoncé avoir bloqué « 25 000 adresses de portefeuilles liées à des individus ou entités russes liées à des activités illicites », sans préciser s’il s’agissait d’activités criminelles « classiques » ou d’une conséquence des sanctions internationales.
A Dubaï, l’impact des sanctions semble moins concret. De nombreuses propriétés de luxe y appartenaient déjà avant la guerre à de riches Russes. Le Center for Advanced Defense Studies, une association américaine, y a décompté plus de soixante-dix propriétés appartenant, directement ou indirectement, à des proches de Vladimir Poutine, un nombre qui a quasiment doublé en quatre ans. L’émirat est aussi l’un des rares endroits au monde où il est possible d’acheter des biens immobiliers directement en bitcoins ou en ethereums, un service proposé par plusieurs agences spécialisées dans les biens de luxe.
Dubaï a adopté, ce 9 mars, une première grande loi, prévue depuis plusieurs mois, régulant les cryptoactifs.
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