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«Chérie, c’est moi»Revoir un proche décédé: quand l’IA va au-delà de la mort
Plusieurs start-ups proposent de rester en contact virtuel avec un être cher après son décès, ce qui pose toute une série de défis, notamment philosophiques.
Rester en contact virtuel avec un proche après sa mort, c’est ce que proposent plusieurs start-ups avec l’aide de l’intelligence artificielle, un univers aux contours encore flous et qui pose de nombreuses questions.
Ryu Sun-yun s’assied face à un micro et un écran géant, dans lequel apparaît son mari, décédé quelques mois plus tôt. «Chérie. C’est moi», lui dit-il. En larmes, elle lui répond et s’amorce un semblant de conversation, dans cette vidéo de démonstration. Se sachant atteint d’un cancer en phase terminale, ce Sud-Coréen de 76 ans, Lee Byeong-hwal, avait sollicité la société DeepBrain AI, qui l’a filmé pendant plusieurs heures, pour créer une réplique numérique, susceptible de répondre à des questions.
«Nous ne créons pas de nouveaux contenus», c’est-à-dire des phrases que le défunt n’aurait jamais prononcées ou écrites dans un journal puis validées de son vivant, explique Joseph Murphy, responsable du développement chez DeepBrain AI, au sujet du programme «Re;memory». Le principe est le même pour StoryFile, qui utilise pour démonstration sur son site l’acteur de «Star Trek» William Shatner, âgé de 92 ans. «Notre approche, c’est de capter la magie de cet individu tant que c’est possible» et qu’il est encore en vie, «et ensuite, d’utiliser l’IA», résume Stephen Smith, patron de StoryFile, qui revendique plusieurs milliers d’utilisateurs de son service Life.
En Chine, des entreprises de pompes funèbres proposent une interaction IA avec le défunt lors de ses funérailles. Début avril, l’entrepreneur et ingénieur Pratik Desai a suscité l’émoi en suggérant de «commencer à enregistrer» en audio ou vidéo «vos parents, aînés et vos proches», estimant que dès «la fin de cette année», il serait possible de créer un avatar autonome d’une personne décédée et qu’il travaillait à un projet en ce sens. Le message, posté sur Twitter, a déclenché une tempête, au point que, quelques jours plus tard, il s’est défendu d’être «un pilleur de tombes». «C’est un sujet très personnel et je m’excuse sincèrement d’avoir blessé des gens». «C’est un domaine sensible sur le plan éthique et nous prenons de grandes précautions», assure Stephen Smith au sujet de StoryFile.
«Défis philosophiques, pas techniques»
Après la mort de son meilleur ami dans un accident de voiture, en 2015, l’ingénieure russe Eugenia Kyuda, émigrée en Californie, a créé une interface, un «chatbot», baptisé, comme lui, Roman, et nourri de milliers de SMS qu’il avait envoyé à ses proches, censé créer un double virtuel. Elle a ensuite lancé, en 2017, Replika, qui propose des robots conversationnels personnalisés parmi les plus sophistiqués du marché, avec lesquels certains utilisateurs passent plusieurs heures par jour à dialoguer. Mais malgré le précédent Roman, Replika «n’est pas une plateforme faite pour recréer un être cher disparu», prévient une porte-parole.
Somnium Space, basé à Londres, veut s’appuyer sur le métavers pour créer, du vivant des utilisateurs, des clones virtuels, qui auront leur existence propre, sans intervention humaine, dans cet univers parallèle après leur décès. «Bien sûr, ce n’est pas pour tout le monde», concède le directeur général, Artur Sychov, dans une vidéo postée sur YouTube, au sujet de son produit baptisé Live Forever, qu’il annonce pour la fin de l’année. «Est-ce que je veux rencontrer mon grand-père qui est en intelligence artificielle? Ceux qui voudront le pourront.»
La question se pose de l’existence virtuelle d’un proche disparu qui pourrait, grâce à l’IA générative, tenir des propos qu’il n’a jamais formulés avant sa mort. «Les défis sont philosophiques, pas techniques», reconnaît Joseph Murphy. «Je ne pense pas que la société soit encore prête. Il y a une ligne que nous n’avons pas prévu de franchir.»
«C’est une niche pour nous, pas un secteur de croissance», estime le responsable au sujet de Re;memory, qui compte quelques dizaines d’utilisateurs, alors que DeepBrain se concentre surtout sur les avatars en milieu professionnel. «Je ne m’attends pas à ce que ça décolle.»
«Je pense qu’interagir avec une version IA d’une personne pour faire le deuil peut aider (…) à aller de l’avant avec un minimum de traumatisme, en particulier avec l’aide d’un professionnel», considère Candi Cann, professeure à l’université de Baylor qui effectue actuellement des recherches sur ce sujet en Corée du Sud. Professeure de médico-psychologie à l’université Johnson & Wales, Mari Dias a interrogé beaucoup de ses patients en deuil au sujet d’un contact virtuel avec l’être disparu. «La réponse la plus courante, c’est «je n’ai pas confiance dans l’IA. J’ai peur qu’il dise quelque chose que je ne vais pas accepter». (…) J’ai l’impression qu’ils pensent ne pas avoir le contrôle» de ce que fait l’avatar.
(AFP)