Javier Milei a été élu président de l’Argentine dimanche 19 novembre. Connu pour ses prises de positions controversées, il pourrait desservir la communauté des bitcoiners selon certains experts.
Dimanche 19 novembre, le libertarien Javier Milei a remporté le second tour de l’élection présidentielle en Argentine face au centriste Sergio Massa. Celui qui s’est plutôt positionné en faveur du bitcoin durant sa campagne présidentielle, assumera la présidence de l’Argentine dès le 10 décembre à la place de Alberto Fernandez. « Aujourd’hui commence la fin de la décadence. C’en est fini du modèle appauvrissant de la “caste”. Aujourd’hui, nous adoptons le modèle de la liberté, pour redevenir une puissance mondiale », a déclaré Javier Milei dans son discours de victoire.
Agé de 53 ans, Javier Milei, qui s’est auto-proclamé « anarcho-capitaliste », a défendu un discours populiste et antisystème tout le long de sa campagne. Son programme économique a convaincu une partie de la population argentine, pays où la une situation économique s’est dégradée au cours des dernières années. L’Argentine fait en effet face à une inflation de 143% sur un an, quatre Argentins sur dix vivant aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Le pays doit également rembourser un prêt de 44 milliards de dollars octroyé en 2018 par le Fonds monétaire international (FMI).
Anti-banques centrales
Dans ce contexte, Javier Milei s’est présenté en sauveur pour redresser l’économie de son pays. Pour y arriver, il entend notamment « dollariser » son pays, alors que la valeur du peso – la monnaie argentine – s’est dépréciée au fil des années. L’Argentine pourrait ainsi suivre la voie d’autres pays d’Amérique latine, comme le Salvador et l’Equateur. Selon une note du Fonds Monétaire Internationel (FMI), dollariser son économie présente certains avantages, comme celui de stabiliser une économie tout en réduisant l’inflation, d’assurer une meilleure stabilité des prix exprimés en dollars ou encore de stimuler les investissements. Pour autant, il y a également des inconvénients, comme le fait de dépendre des décisions de la Réserve fédérale (la Fed), la Banque centrale américaine, ou encore de faire face à une résistance politique d’une population, qui perd l’accès à sa monnaie nationale.
En plus de sa promesse de dollarisation, Javier Milei entend « remettre en ordre les comptes budgétaires et régler les problèmes de la Banque centrale », comme il l’a déclaré ce dimanche. Au début de l’année, ce dernier avait déclaré dans une émission télévisée que la « banque centrale était une escroquerie », le bitcoin représentant dans ce contexte « le retour de l’argent à son créateur d’origine, le secteur privé ». Depuis cette phrase choc, ce dernier a été considéré comme un candidat pro-bitcoin, bien que son programme électorale ne fasse aucune mention du bitcoin.
Il s’est pourtant placé en opposition à son concurrent qui s’était positionné en faveur de la création d’une monnaie digitale de banque centrale (MDBC). Dimanche 19 novembre, le cours du bitcoin semble avoir bien réagi à la victoire de Javier Milei, gagnant 3% en jour. Mais au delà de son programme ultra-libéral, Javier Milei est aussi connu pour ses nombreuses positions controversées, ce dernier étant un climatosceptique revendiqué et s’opposant aux droits des femmes. Son positionnement pro-bitcoin peut-il desservir la communauté des bitcoiners?
Un candidat gênant pour les bitcoiners?
Le constat est mitigé, admet Alexandre Stenchko. « Certes, on pourrait assister à une adoption plus organique du bitcoin, dans la mesure où, à beaucoup d’endroits, un des principaux freins à l’adoption reste la force des habitudes d’utilisation de monnaies déjà en place depuis longtemps. A supposer que le peso n’existe plus, l’Argentin moyen devra faire un choix. Cela peut être un levier majeur d’adoption », explique à BFM Crypto Alexandre Stachtchenko, entrepreneur, auteur, et conférencier spécialiste du bitcoin
De même, selon ce dernier, l’Argentine pourrait devenir un « laboratoire d’autant plus crédible, et les libéraux, même ceux qui ne sont pas particulièrement éduqués au bitcoin, sont probablement ravis de pouvoir être spectateurs des changements à venir ».
Pour autant, cela pourrait aussi desservir la communauté crypto. « Si la dollarisation est mise en place, on pourrait voir une préférence pour le dollar plutôt que pour le bitcoin. Il faut garder en tête que ce n’est pas tant que les Argentins adulent le bitcoin, mais plutôt détestent le peso qui les ruine depuis des décennies. Bitcoin est une porte de sortie. Si une autre porte de sortie existe, elle pourrait être préférée », précise-t-il.
De même, Javier Milei ne va pas améliorer l’image du bitcoin le monde occidental, notamment en raisons de ses positions contre l’avortement, admet l’expert. Le fait même que Javier Milei « ait remporté en ayant fait campagne sur le sujet de la monnaie, et en étant particulièrement agressif contre la banque centrale, est déjà en soi la démonstration d’une prédisposition des Argentins à comprendre et être sensible à la proposition de valeur du bitcoin. En ce sens, le bitcoin a déjà gagné une bataille », conclut ce dernier.
Essor des cryptomonnaies en Argentine
Le positionnement de Javier Milei à l’égard du bitcoin semble pourtant bien timide, par rapport à celle du président sortant Alberto Fernández, qui s’était montré ouvert à une adoption du bitcoin comme monnaie légale dans le pays. « Je ne veux pas m’avancer trop, […] mais il n’y a pas de raison de dire “non”. Peut-être est-ce une bonne voie à suivre », avait indiqué Alberto Fernández en 2021 sur la chaîne Filo.news.
En effet, les Argentins s’intéressent de plus en plus aux cryptomonnaies (pas seulement au bitcoin) depuis 2020. En avril 2022, 12 % des Argentins possèdaient des cryptomonnaies, selon une étude de Americas Market Intelligence. Les cryptomonnaies sont devenues une alternative pour certains, à la fois pour protéger leurs économie face à la dévaluation de leur monnaie mais également pour faire des transferts internationaux en évitant les frais bancaires traditionnels.
L’Argentine figure en 15ème position des pays ayant le plus fortement adopté les cryptomonnaies, selon le dernier rapport de Chainalysis d’octobre 2023. Le pays figure en tête des pays d’Amérique latine en terme de volume de transactions en cryptomonnaies avec 85,4 milliards de dollars de volumes de transaction en cryptomonnaies entre juin 2022 et juillet 2023.
« Nous avons une inflation très élevée et il existe de nombreuses restrictions concernant l’achat de devises étrangères. Cela fait des cryptomonnaies une option précieuse pour économiser », a déclaré Alfonso Martel Seward, responsable de la conformité et de la lutte contre le blanchiment d’argent chez Lemon Cash, une bourse de cryptomonnaie basée en Argentine.
Argument marketing
Ce dernier a également déclaré que les Argentins se tournaient aussi de plus en plus vers les stablecoins, ces cryptomonnaies adossées à des monnaies traditionnelles comme le dollar. « À mesure que l’adoption de la cryptographie s’est développée, de nombreuses personnes ici recevront désormais leur salaire et le mettront immédiatement en USDT ou USDC », a précisé ce dernier.
Toujours selon Chainalysis, les achats de cryptomonnaies ont augmenté au fur et à mesure que le peso a perdu de la valeur, avec un pic en avril 2023, au moment où l’inflation en Argentine a dépassé les 100%. Les Argentins n’ont donc pas attendu Javier Milei pour se saisir des cryptomonnaies. Il sera intéressant de voir si le bitcoin n’était qu’un argument marketing pour gagner des voix durant sa campagne électorale ou si ce dernier fera comme le président Salvadorien, Nayib Bukele, qui a fait du bitcoin une monnaie légale dans son pays depuis septembre 2021.