02/11/2024
Bitcoin a 15 ans : l’âge de la maturité ?

Bitcoin a 15 ans : l’âge de la maturité ?



Cette semaine, Bitcoin a célébré son 15ème anniversaire. Un âge certes encore adolescent mais que peu lui prédisaient atteindre lors de sa genèse en 2009. Une naissance en forme de diatribe contre le système bancaire : «Pour la deuxième fois, le chancelier est en passe de renflouer les banques», peut-on lire dans le message inscrit au sein du premier maillon du réseau bitcoin créé le 3 janvier 2009. Une citation extraite de la Une du Times daté du même jour, alors que les banques du monde entier chancelaient à la suite de la crise des subprimes.

C’est précisément en réponse au château de cartes financier que Satoshi Nakamoto – pseudonyme dissimulant un développeur, ou plusieurs, toujours anonyme à ce jour – a conçu Bitcoin : un réseau décentralisé de transactions, consultable par tous, libre d’accès et à même d’échapper à toute forme de censure. Pour cela, il s’appuie sur une blockchain, en somme un registre numérique, opérée sans entité centrale.

«Un nouveau système de monnaie électronique pair-à-pair»

Avant de déployer son invention, Satoshi Nakamoto la présente dans un premier temps sous forme de livre blanc publié dans une liste de diffusion mail utilisée par certains des meilleurs cryptographes au monde : «Je travaille sur un nouveau système de monnaie électronique pair-à-pair, sans tiers de confiance, écrit-il laconiquement le 31 octobre 2008, avant de développer. Une version de monnaie électronique purement pair-à-pair permettrait aux paiements en ligne d’être envoyés d’une partie à une autre sans le fardeau de passer par une institution financière.»

Dans le livre blanc, Satoshi Nakamoto détaille le procédé technique : ce réseau sera bâti grâce au protocole de la preuve de travail, un système de validation de transactions qui requiert l’emploi de ressources en calcul. Un protocole énergivore, mais qui permet justement de réfréner les attaques abusives comme le déni de service ou les spams en les rendant trop coûteuses.

Le message ne suscite aucun enthousiasme : au contraire, il lui faut plusieurs jours avant de recevoir la moindre réponse et la plupart d’entre elles se montrent sceptiques. Ainsi, l’informaticien John Levine livre sans détour ses doutes sur le protocole de la preuve de travail, prenant en exemple «les fermes de 100 000 ordinateurs» dédiées à l’envoi de spams : «J’ai aussi ma part de doutes sur d’autres problèmes mais celui-ci est sans appel», fustige-t-il. Mais certains se montrent plus positifs, comme James A. Donald, qui écrit : «C’est mieux, et plus résistant aux attaques d’agences gouvernementales, que tout ce que j’ai vu jusqu’ici.» Parmi les voix encourageantes, la plus déterminante est celle de Hal Finney, aujourd’hui décédé des suites de la maladie de Charcot. Ce développeur de génie a notamment œuvré pour le groupe de chiffrement PGP. Au départ relativement prudent au sujet de cette invention, il se muera comme l’un de ses plus fervents défenseurs, au point d’être le récepteur de la première transaction bitcoin envoyée par Satoshi Nakamoto le 12 janvier 2009. «Running bitcoin», écrit même Hal Finney la veille sur le Twitter d’alors pour officialiser son utilisation du logiciel.

Plusieurs mois avant une première cotation

Il faut cependant attendre plusieurs mois avant que Bitcoin ne soit adossé à une valeur. En mars 2010, un vente de bitcoins contre des dollars s’effectue sur la première place de marché crypto de l’histoire, Bitcoinmarket : la valeur de la cryptomonnaie s’établit alors à… 0,003 dollar. En mai 2010, un développeur passionné du nom de Laszlo Hanyecz dépose une annonce sur le forum spécialisé bitcointalk pour échanger 10 000 bitcoins contre deux pizzas, soit une quarantaine de dollars. Un internaute mord à l’hameçon et l’informaticien reçoit ses deux pizzas, qui s’avèreront avec du recul particulièrement onéreuses. L’événement donne naissance au Pizza day, célébré chaque 22 mai.

Alors anecdotiques pour le grand public, ces étapes constituent cependant les fondations d’un nouveau paradigme : dans le monde entier, des développeurs bâtissent des nouveaux logiciels, de nouvelles infrastructures, pour faciliter l’accès à cette technologie ; celle-ci devient progressivement un moyen de transaction, notamment à des fins décriées, comme sur le dark net, cet Internet parallèle où pullulent des places de marché en tous genres, souvent pour des transactions illicites (drogues, armes, faux papiers, etc.). Bitcoin offrant le pseudonymat à ses utilisateurs, il devient prisé pour cet usage, même si, paradoxalement, l’ensemble des transactions sont traçables. Cela lui vaut l’image d’une monnaie du crime, bien qu’en réalité, les firmes d’analyse estiment que l’utilisation du bitcoin à des fins criminelles ne dépasse pas 2% des transactions financières.

Au fil des mois, des années, sa valeur grimpe, mais chaque secousse, chaque faiblissement, engendre une couverture médiatique très sceptique. En 2013, la fermeture de la place de marché illégale Silk Road entraîne une perte de valeur de 25% pour le bitcoin. Rebelote en 2014, quand la faillite de la plateforme de trading japonaise Mt. Gox, consécutive à un piratage, provoque une chute du cours de 1 000 dollars à… 110. «Comme réseau financier, Bitcoin est condamné», titre le Washington Post la même année. Le site 99bitcoins se spécialise même dans le recensement d’occurrences où Bitcoin est déclaré comme mort dans les médias : 475 fois depuis 2010 pour la seule presse anglophone, estime-t-il ainsi dans sa dernière mise à jour.

Des critiques toujours pugnaces

Il faut dire que Bitcoin a de quoi déranger : dans la finance traditionnelle, le magnat Warren Buffet a notamment qualifié la cryptomonnaie de «mort-aux-rats» tandis qu’il n’a «aucune valeur» pour le PDG de JPMorgan, Jamie Dimon (lequel s’est depuis ravisé), comme pour la présidente de la BCE, Christine Lagarde. Pour la sénatrice américaine Elizabeth Warren, «Bitcoin est encore plus concentré dans les mains des 1% (les plus riches, NDLR) que le dollar». Dans le même temps, Bitcoin est critiqué pour son empreinte environnementale : la fabrication de la cryptomonnaie (appelée «minage») nécessite une consommation énergétique et matérielle très importante : à l’heure actuelle, environ 159 TWh par an, selon la simulation de l’université de Cambridge, soit 0,7% de la consommation électrique mondiale. Plus que la Pologne, la Suède ou encore l’Argentine. Une hérésie pour l’ONG Greenpeace, qui demande aux législateurs et aux acteurs financiers de pousser en faveur d’un changement de protocole plus propre. Une critique légitime – bien qu’elle oublie par exemple la consommation électrique du jeu vidéo (estimée selon les études entre 180 et 620 TWh) – à laquelle les défenseurs de bitcoin opposent qu’au contraire, cette cryptomonnaie encourage l’investissement dans des infrastructures d’énergie renouvelable, comme au Texas, et permet la valorisation de l’énergie fatale, c’est-à-dire normalement non consommée, comme dans l’Utah où l’entreprise Marathon Digital utilise du méthane. Un argument également avancé par l’université de Cambridge.

Si Bitcoin ne fait, et ne fera sans doute jamais, l’unanimité, ces discussions marquent néanmoins le signe d’une pénétration significative dans la société : autrefois inconnue, puis méprisée, marginalisée, cette technologie irrigue aujourd’hui les rangs mêmes des instances qu’elle visait initialement à bousculer. En 2020, alors que Bitcoin flirtait avec le seuil des 20 000 dollars, la Bourse financière de Chicago approuvait ainsi ses premiers contrats à terme relatifs à la cryptomonnaie. En 2021, en dépit des avertissements du FMI, le Salvador a fait du Bitcoin sa deuxième monnaie officielle et sur le continent africain, comme au Nigeria, la cryptomonnaie est de plus en plus utilisée. La République de Centrafrique en avait d’ailleurs également fait une devise officielle en 2023, avant de se raviser afin de rester au sein de l’Union monétaire de l’Afrique centrale. Dans le monde des entreprises, la décision du patron de l’entreprise cotée en Bourse Microstrategy d’investir massivement dans du bitcoin (plus de 170 000 bitcoins acquis depuis 2020 pour un prix moyen de 30 250 dollars) n’a cessé de faire couler de l’encre, surtout lors des chutes du cours. Pourtant, elle a aujourd’hui rapporté plus d’un milliard de dollars sous forme de bénéfices non réalisés. L’action de l’entreprise, elle, a quintuplé.

Plus récemment, c’est la volonté du plus grand gestionnaire d’actifs au monde, Blackrock, de lancer un ETF (un fonds indiciel coté en Bourse) Bitcoin au comptant qui a confirmé pour de bon la cryptomonnaie comme un actif à part entière. «Soyons clairs : plutôt que l’or (…), Bitcoin est un actif international, qui n’est basé sur aucune devise, ce qui en fait une véritable alternative», a notamment déclaré son PDG Larry Fink en octobre 2023. En l’espace de quinze ans, et désormais capitalisé à plus de 800 milliards de dollars, Bitcoin s’apprête à passer du statut de paria à celui d’or du 21e siècle pour le grand public. Un véritable tour de force alors que l’identité de son inventeur est à ce jour encore inconnue de tous.





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